J’AI « SURVECU » À MES CINQ ANS
Oui, j’ai pu vivre encore après ce jour de l’année de mes cinq ans. Dans la classe de mon école maternelle, un jour de juin, le mois des communions, est entrée soudain la plus belle apparition que j’ai jamais vue : une communiante. LA communiante. Elle s’est avancée dans l’allée, droit vers le bureau de la maîtresse, a échangé quelques mots avec elle, la maîtresse a dit que c’était la grande sœur de untelle, et, avec un grand sourire, elle a pris les images de communion que la communiante lui offrait. La communiante a dit : « au revoir », est allé embrasser sa sœur, puis elle est sortie, et c’était fini. Moi j’étais assise à ma table d’école et, jusqu’à cet instant, posée comme un oiseau dans ma petite vie. Petite ma vie, oui, mais seulement en apparence. Dans ma vie en vrai, celle que je ne sais pas encore dire avec des mots, je suis déjà une grande savante : une ethno-psycho-théologienne. J’ai deux périscopes : mes yeux et mes oreilles : je vois tout, j’entends tout, j’enregistre tout. On croit que je parle à mes poupées, que je joue aux petites voitures avec mes frères. Mais non. J’écoute et je regarde « les grandes personnes ». Ensuite je réfléchis, je réfléchis beaucoup. Avec mon cœur. Lui, c’est le central auxquels sont reliés mes périscopes, si vous voulez. En fait j’aurai plutôt envie de dire qu’il est ma référence absolue, mais ça, c’est des mots pour les grandes personnes. Dire ce qu’il est, c’est difficile, je vous le disais, à cinq ans on n’a pas les mots. Alors on dit autre chose, que les grandes personnes comprennent.Parce que pour le vrai, on n’a pas les mots. Quant au cœur, essayez de comprendre, c’est important. Il est très, très, très gros à cinq ans. Il prend toute la place. Il parle tout le temps, et sa voix, c’est une voix qui dit plus vrai que celle de maman, et quand ça arrive, je suis fâchée avec lui, parce que maman, c’est maman. Quand je m’endors, je me blottis dans sa voix, parce qu’elle est très douce et très chaude, et en même temps elle me rend invincible. J’obéis à maman, mais je n’écoute que mon cœur. Mon cœur, il a un fil très fin et tout brillant qui part loin, là-bas, très loin, je ne sais pas où, et pourtant je connais ce lieu. Mon cœur m’en parle tout le temps : c’est curieux, je comprend tout ce qu’il m’en dit, et en même temps, je ne comprends rien. Comme une langue que j’aurais oubliée. Parfois, c’est compliqué parce que les grandes personnes me disent quelque chose et je sais bien que ce n’est pas vrai, mon cœur m’a déjà donné la réponse, mais bon. Je ne peux pas tourner le dos à mon cœur. Si je me séparais de lui, ce serait comme si je perdais ma vie, vous comprenez ? Un jour j’avais huit ans, j’étais arrivée à beaucoup de conclusions sur ce qu’il fallait savoir pour vivre avec les papas-mamans, les copains, les maîtresses et la marchande de bonbons. Je savais même prendre l’autobus toute seule. Ce soir-là, pendant le dîner familial, nous avons parlé du cosmos, de l’univers, des planètes, des étoiles. Pas de la Terre, non. Notre discussion était assez élevée. Enfin, discussion, c’est beaucoup dire. Notre mère parlait, et nous enfants, nous posions une seule question, la question des enfants : « et pourquoi l’univers ceci, et pourquoi les étoiles cela… » Et voilà, l’univers était à table avec nous, les étoiles nageaient dans ma soupe.
Mon cœur alors m’a dit que cette immensité d’immensité était minuscule de chez minuscule. Et c’était vrai, je sentais mon dos collé contre la paroi de l’univers et j’étouffais là-dedans : « mais je veux sortir, c’est trop petit ! ». A cause de l’angoisse qu’on a ressenti ce soir-là mon cœur et moi, je suis devenue encore plus savante : ethno-psycho-théolo-métaphysicienne. Mon cœur est vraiment épatant : toujours dans le vrai. Mais quand la communiante est entrée dans la classe, ça m’a coupé les ailes. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais voir quelqu’un de si beau, qui faisait quelque chose de si efficace sans que je puisse en faire autant, le cœur m’a manqué. Je me suis retirée de mon cœur, j’ai émigré peut-être, ou carrément changé de planète. Peut-être que j’étais cœur cienne avant, et que je suis devenue terrienne, que j’étais célestienne et que je suis devenue humaine. Vous voyez ? Il était en train de se passer quelque chose d’anormal dans ce monde : ma petite copine s’offrait une recommandation béton auprès du pouvoir en place et moi je n’avais pas ça à disposition, et ça ne risquais pas, parce que ma sœur aînée n’avait que neuf ans. Je n’avais pas d’apparition flatteuse à offrir à la maîtresse pour me ménager ses faveurs tout au long de l’année. Je n’avais rien, et en plus, je n’avais pas d’idée. Il y avait comme ça des situations dans la vie, moi, je n’en faisais pas partie. Parce que je n’avais pas ce qu’il fallait, un truc que certains ont, et d’autres pas. Un miracle. J’ai remarqué depuis, parce que j’étais devenue terrienne, qu’il y a des gens, ils marchent sur les miracles, ils ne font que ça, et moi, je marche dans la merde. Tout le temps. Enfin, c’est ce que je me dis. La communiante, c’est un miracle. Et le miracle, voyez-vous, c’est le Producteur qui se promène dans la même rue que vous et qui se dit : « Tiens, celle-là, je vais en faire une Star. » C’est le Loto qui un jour se dit : « Tiens, celle-là, je vais lui faire gagner le gros lot. » c’est cet Homme idéal qui, en vous voyant, dit : « Tiens, celle-là, je vais en faire la Femme de ma vie. » Alors vous vous mettez à attendre. Vous attendez que le miracle surgisse. Vous vivez par-dessous le miracle, en attendant la vraie vie. Et vous vous dites : « Un jour viendra où je serai remarquée. Et là, on verra comme je suis remarquable. » Moi je n’ai pas fait exactement comme cela quand la communiante a été sortie de ma classe maternelle, mais ça revient au même. J’ai conclu que ce pouvoir, il n’était pas pour moi, il était inaccessible. Ce n’était même pas la peine de l’attendre. Mon cœur était vraiment amoché. Je crois que c’est moi qui lui avais fichu des coups. L’envie, la jalousie, la colère d’impuissance, ça fiche des coups à un cœur, ça l’affaiblit. C’est mauvais pour lui, surtout quand il y a la stupeur de la première fois : il ne s’y attendait pas, forcément. Tout mon merveilleux mécanisme était endommagé, et quand il m’a dit d’une voix faible : « Tu n’as perdu que le pouvoir. Je t’en prie, ne perds pas ta puissance avec », j’étais devenue un peu sourde et je n’ai pas très bien entendu ce qu’il m’a dit.
Le Crabe Doré est une nouvelle que j’ai écrite en 1978. J’avais 30 ans. Je cherchais la lumière parmi les ombres. Sous la forme d’un conte, j’exprime la quête de mon être à la recherche de Qui Je Suis en Vérité. Mais le conte montre qu’il y avait encore du chemin à faire.
Le second tome de mon livre vous montrera que toutes les quêtes, toutes les batailles sont terminées : c’est un livre d’allégresse, qui nous emmènera du monde d’Asquer – notre beau rêve collectif – à une réalité (qui arrive à grands pas) encore plus belle.
LE CRABE DORÉ
Car il est dit : « Ceux qui se haïssent
mutuellement tissent le panier
de crabe, et le crabe chez nous
est un personnage ridicule »
Extrait du Livre du Pêcheur
Mon père était un crabe. Un beau crabe.
Mon père voyagea sous la haute mer. Avec ma mère, lorsqu’il la connut.
Mon père avait une démarche noble et fière de crabe.
Mon père… n’en parlons plus, mon crabe de père est mort.
Ma mère était belle, et rouge.
Elle se regardait dans les ronds miroirs au tain passé des huîtres nacrées.
Ma mère aimait danser à la clarté de la lune,
Dans la mousse laissée par les vagues sur le rivage :
Deux pattes gauches à gauche, deux pattes droites à gauche,
Un balancement, c’était la première mesure de la danse.
Les vieux crabes, épincés par les batailles amoureuses,
Rythmaient son pas du crissement humide de leurs mandibules.
Les jeunes crabes faisaient cercle autour d’elle, et bientôt la suivaient.
Ma mère vit peu le monde. Elle ne connaissait que le bleu de la mer et l’or du sable. Elle s’aimait et ignorait le reste.
Moi, j’aimais la mer. J’aimais ma mère aussi. Dans l’insouciance de mon enfance, j’avais joué parmi ses merveilles, mais sans les regarder d’avantage. Plus tard mon père, sortant parfois du rocher où il méditait d’une marée à l’autre, et avisant qu’il avait un fils, m’emmena dans de longues pérégrinations. Et si je connais bien la mer, je veux dire, si j’en connais l’essence, c’est grâce à lui. Il m’avait enseigné l’art de regarder. « Mon fils, disait-il, la mer est belle, immense et insondable. En elle sont le commencement et la fin. Mais tu ne la connaîtras que si tu regardes au-delà de l’apparence ».
Et moi j’écoutais mon père, comme un fils doit écouter son père, mais je n’en retenais pas grand’ chose. Pourtant, le ferment était en moi, à mon insu.
Le temps passa, la vie continua, semblable à elle-même de jour en jour : mon père admirait ma mère, ma mère s’admirait, et ma foi, le monde n’existait pas pour eux. Je grandis, et, brusquement, il y eut la découverte du fil. « Le fil, dites-vous ? » Oui, le fil, mais pas le fil de la vie, ni le fil de l’épée : on ne passe pas les crabes au fil de l’épée. Non, c’était le fil de l’eau, le fil de la mer. Et si, de ma mère, je tenais la beauté, de mon père, j’avais hérité le désir obstiné de comprendre. Or le fil de la mer n’est pas chose aisée à saisir. A peine en connait-on l’existence.
Et déjà, je sens qu’en m’écoutant, vous pensez que je divague : « Que peut faire d’autre le poisson, la crevette ou le tourteau que de divaguer de vague en vague ? Car enfin, a-t-on jamais vu un fil à la mer ? » Mille pardons, mais il existe, et foi de crabe, si, comme le Pêcheur, vous regardez la mer attentivement, au-delà de la vague et de l’écume, au-delà de l’apparence, vous verrez, oui, vous verrez le fil de la mer. Comme cela m’arriva presqu’au moment où mes fragiles pincettes de rejeton crustacéen se transformèrent en une puissante paire de pinces. Des deux évènements, ce fut la découverte du fil de l’eau qui me marqua le plus. Surtout si l’on sait, comme me l’avait appris mon père, que c’est l’essence de la vie. Mais j’en doutais, vous vous en doutez bien.
Pourtant au fil du temps – mais était-ce le même ? – je vis ce père si sage s’enfermer plus souvent, plus longtemps. Ma mère s’en aperçut aussi car il oublia parfois de l’admirer. Puis de jour en jour, il devint de plus en plus silencieux et agité. Il tournait en rond, ce qui est très remarquable pour un crabe. Quand il vit que c’était même ridicule, et beaucoup moins beau à voir que la danse de sa tourteaude de femme, il cessa de tourner et devint immobile et tout raide. Ce qui était aussi une prouesse pour un crabe. On voyait bien qu’il n’avait plus de goût à rien, pas même à ma mère qui s’attristait de voir que son charme n’atteignait plus son époux trop savant.
Je guettais le moment favorable pour lui parler quand, un jour, je le surpris à marmonner dans ses mandibules : « Le fil de l’eau… le fil de l’eau… » C’était donc à cela qu’il pensait lui aussi ! Alors je me mis à attendre, tant j’avais confiance dans sa sagesse. Mais un matin, sans un regard pour moi, sans un baiser pour ma mère désolée, il partit. Je le vis monter lentement vers le fil de l’eau que le soleil diaprait à travers les courants de la surface, puis il s’y fixa et ne bougea plus. Cela dura onze jours : il se dessécha lentement, son regard devint fiévreux et endurci, et au soir du onzième jour, un tourbillon furieux le précipita dans le néant. Quel rêve insensé et hors de sa portée avait-il poursuivi ? Avait-il outrepassé l’endroit de son destin sur le fil de la mer, et l’avait-elle anéanti ?
Ma mère pleura bruyamment, puis elle recommença à danser au clair de lune ; seulement, elle mit plus de lenteur et de gravité dans ses balancements, afin que personne n’oublie son défunt savant de mari, et qu’elle était sa veuve inconsolable.
***
Alors vint le Pêcheur. Tous les jours il arrivait sur sa barque, et je remarquai très vite qu’il s’installait sur le fil de l’eau. Puis il jetait ses filets, il attendait en chantant et il chantait toujours la même chanson, ou il la fredonnait. Quand il pleuvait, il refermait bien soigneusement son suroît pour se protéger, mais il venait toujours, et il chantait toujours. Chaque jour il ramenait du poisson, jamais beaucoup, mais il semblait s’en contenter. Il revenait à terre, mettait ses filets à sécher sur la plage, allumait un feu et faisait griller les poissons après les avoir embrochés. Quand ils étaient bien cuits, il les mangeait avec les doigts, lentement, visiblement heureux. Il semblait découvrir un met nouveau dans son poisson toujours recommencé, et je le voyais le humer, puis mordre dans la chair cuite à point, chaque bouchée l’une après l’autre, comme il l’aurait fait d’un plat extraordinaire. Il y mettait un soin et une application si gourmande qu’il me laissait étonné, et, il faut bien le dire, un peu écœuré : il m’aurait mangé de la même façon ! Quand il avait fini, il se dressait debout face à la mer, étirait sa jeunesse et sa vigueur vers le ciel, et, incontestablement, on sentait qu’il avait restauré ses forces. Cela le rendait tout joyeux.
J’étais si fasciné par le Pêcheur sur le fil de l’eau que je délaissais tout le reste, y compris ma mère. Mais je ne lui manquais pas : par ma force mature de beau tourteau, je marquais trop son âge, et sa coquetterie s’en accommodait mal. Que de soins et d’attention elle accordait à sa beauté ! Le rouge de sa carapace commençait à passer avec l’âge et elle avait décidé que seul le soleil lui redonnerait son ombre et sa profondeur mystérieuse. Aussi tous les jours, au plus fort du soleil, elle partait sur le fil de l’eau – avait-elle alors une pensée pour mon père ? - afin d’atteindre quelque rocher tranquille, où elle pourrait, comme elle disait, « travailler sa beauté ». Mais le fil de la mer ne se prend pas impunément. Ne l’avait-il pas prouvé avec mon père ? C’est ainsi qu’un beau matin – comme il faisait beau ce jour-là ! – ma mère partit sur le fil de l’eau pour parfaire sa beauté. Et lui, tandis qu’elle rêvait à je ne sais quel joli mot qu’on lui avait dit au dernier bal des tourteaux, l’emmena insensiblement vers les pêcheries, et l’y déposa. Puis doucement il retira le flot, et ma mère resta prisonnière dans ces enclos, sans s’en apercevoir. Tandis que sa carapace dorait, elle dormait et rêvait.
Elle fut pêchée par des touristes qui la mangèrent avec de la mayonnaise et des œufs durs. Pauvre crabe, femme de mon père, le tourteau sage !
***
Il ne me resta plus que le Pêcheur. Chaque jour je me remis à suivre sa pêche et à essayer de saisir les paroles de son chant, mais en vain.
Le fil de l’eau semblait lui appartenir, même au plus fort des tempêtes, et toute son activité semblait se ramener uniquement à pêcher et manger ses poissons.
Mon unique pensée à moi, qui se renforçait de jour en jour, était que lui, le Pêcheur, avait percé le secret du fil de l’eau. Et c’était ce secret que je voulais connaître, à n’importe quel prix. Je pressentais confusément qu’il avait quelque chose à voir avec la chanson dont je n’avais pas encore saisi un traître mot : la mer est pleine de bruits !
Mon attrait pour le Pêcheur était si fort qu’à chaque retour de sa pêche, je m’enhardissais un peu plus, et avec mes dix pattes je m’approchais chaque jour un peu plus de son foyer. J’y risquais ma vie, je le savais, mais pour connaître ce qui était devenu ma vie, j’étais prêt à la donner.
Ce matin-là, j’avais fait un grand détour, si bien que je me trouvais dans le dos du Pêcheur, hors de sa vue. Il avait fini son repas, et, assis en tailleur, il ravaudait son filet. A la cadence de son aiguille, il chantait, toujours la même chanson. Mais les vagues éclataient sur le rivage et le bruit de la mer m’empêchait de comprendre. Si je m’approchais, peut-être ?… Le cœur battant, je risquais un pas de plus. Mais un pas de crabe, c’est si petit ! Il me fallait plus de courage et plus d’efforts si je voulais enfin connaître le chant que mon Pêcheur semblait tant aimer. Je résolus, car il fallait en finir, de courir jusqu’à la boîte où il rangeait son matériel à repriser. Je partis de mes dix pattes, et voilà, j’étais dans la place ! A portée de la main de mon Pêcheur ! Tandis que je tremblais dans mon trou, lui continuait à ravauder et à chanter.
Et enfin j’entendis la chanson :
Chacun s’en va sur l’eau
Et sa vie coule et passe.
Mais moi je suis Pêcheur
Et vais sur mon bateau.
Tout au fond de mon cœur,
J’ai fait filer ma nasse,
Et, las, n’est remonté
Que désir à ta place.
Où es-tu toute belle,
Toi que j’appelle en vain,
Je chante sur la mer
Pour la belle des belles.
Je suis trop solitaire
Et tu es bien trop loin.
Seront nous réunis,
M’entendras-tu enfin ?
Au fur et à mesure qu’il chantait, chaque mot pénétrait en moi, non comme quelque chose de nouveau, mais comme un chant très familier qu’on vous aurait chanté quand vous étiez tout petit. J’étais si absorbé que je ne vis pas le Pêcheur tendre la main vers la boîte où j’étais caché. Arriva ce qui devait arriver : il sentit ma carapace sous ses doigts, l’attrapa à l’endroit où seuls les pêcheurs savent l’attraper, si bien que je me retrouvai sans défense dans sa main. Mais j’étais béat, et je n’avais même pas eu le temps d’avoir peur. Il m’avait élevé à la hauteur de son regard, et quand je fus un peu ressaisi, je vis que son visage rayonnait, comme s’il venait de retrouver la chose la plus précieuse du monde.
« Te voici donc enfin mon âme ! J’ai tellement chanté, et si longtemps, ne m’as-tu pas entendu ? Enfin, tu es là. Mais je vois qu’on a toujours sa petite carapace et ses méchantes pinces ? Allons, il faudra encore pêcher ! »
Et, du coup, c’était bien mon avis.
Ainsi, j’ai quitté les crabes. Ce fut le vent qui me dit de partir : je n’étais plus crabe doré, mon avenir était ailleurs.
De toute façon, il fallait que je m’en aille. A cause du Pêcheur.
LA COMPLAINTE DES MOUETTES
Te voici enfin, Âme du Pêcheur entêté
Te voici, toi qui n’as pas encore de nom.
L’un à l’autre, tu le sais, vous êtes liés,
Et la crique vous tient, comme un timon,
Car Théo n’est pas encore libéré.
Ecoute, prête l’oreille, Carapaçonnée,
Apprends d’où te viens ton surnom :
Si le lumineux fil de l’eau t’a attirée,
Sept fois déjà tu as dû lui dire non,
Car Théo n’avait pu se libérer.
Trois, six, neuf, un caillou noir.
Les sept étapes, nous allons te les raconter
Et ce sera en vérité une bien triste histoire,
Même si vous vous êtes enfin retrouvés,
Car Théo ne voulait pas se libérer.
Mais Celui qui veut, par infinie compassion
Que nous piaillons pour dire la vérité
A tendrement gravé dans sa main le nom
De ce fils orgueilleux, mais profondément blessé,
Ce Théo qu’Il veut voir libéré.